samedi 23 mai 2015

Atuona, jeudi 21 mai.

Mon arrivée à Hva Oa, le 20 mai à 12 
heures locales. J'ai droit au
magnifique et très parfumé collier de 
fleurs...
A six heures du matin, bien reposé, je suis debout. Il faut beau et déjà bon (ici les nuits affichent en moyenne 23 degrés). Je m’installe sur la terrasse de mon faré et rédige le billet consacré à la journée d’hier. Le Wifi n’est disponible que dans et autour de la réception de la pension et je ne le posterai qu’en soirée. Après le petit-déjeuner, Florence arrive pour me remettre les clefs de la voiture de location commandée la veille. Ainsi je serai plus mobile et moins dépendant de mon hôte pour ce qui est de me rendre, par exemple, au village (80 mn de marche aller retour). A son volant, je pars à la découverte de l’île. Découverte et non pas redécouverte car, en 82, rien n’existait vraiment pour ça : pas de voiture de location, très peu de routes goudronnées, j’étais demeuré piéton pendant sept jours. Aujourd’hui, ça a beaucoup changé, la principale innovation pour moi étant la très belle route qui, sur 13 km, relie Atuona (niveau de la mer) à son aéroport (440 mètres d’altitude). Jadis c’était une simple piste de terre battue, quasiment impraticable par forte pluie…

La Frégate du Pacifique est un oiseau 
pouvant atteindre 2 m 30 d'envergure
En 1982, les oiseaux ne m’intéressaient pas vraiment. Aujourd’hui, impossible de partir où que ce soit sans emporter mon matériel photo, au complet, afin de les "mitrailler" en conséquence. De l’autre côté de la baie que surplombe mon faré, j’ai remarqué que de gros oiseaux évoluent presque en permanence. Sur place, j’ai la confirmation que se sont bien des Frégates. Une grosse vingtaine de ces magnifiques volatiles passent et repassent sans cesse, souvent au ras des vagues afin de saisir, en vol, une hypothétique et minuscule proie qu’il m’est impossible d’identifier. 

Dans cet exercice, certains oiseaux me frôlent, passant à moins de cinq mètres au-dessus de ma tête. Je suis aux anges et les mitraille comme un forcené. Après être retourné à l’aéroport, afin de prendre, tout au long du parcours, quelques clichés aux points de vue repérés hier lors de mon arrivée, je m’apprête à redescendre à Atuona. A la voiture, je passe moins de trente secondes, penché en avant, à ranger mon matériel photo dans son sac de transport. En me relevant, c’est le choc ! Une douleur intense me transperce le bas du dos. Non, c’est pas vrai, pas ici, pas maintenant ! Eh ben oui, me revoilà crucifié une fois encore (la troisième en moins d’un an)… Retour à la pension, prise d’anti-inflammatoire, antidouleur, puis repos forcé et couché pendant plusieurs heures. Au niveau moral autant que physique, je suis complètement anéanti…

Laina et son mari Paul.
Si elle travaille avec
Tania, tous deux sont
avant tout sculpteurs sur
bois et perpétuent cette
tradition marquisienne
très réputée...
Le soir, avant le souper, Laina, qui travaille avec Tania à la pension, me prodigue un massage à l’huile de monoi qui me fait beaucoup de bien sur le moment. Mais après le repas, la douleur reprend de plus belle, et même la ceinture lombaire emportée avec moi n’y fait rien. Je m’endors la mort dans l’âme, maudissant le destin, la terre, le ciel, ce dieu qui n’existe pas, le diable (qui lui est bien réel), tous coupables (après moi et mes 15 kilos superflus, soyons juste) de cette fatalité inique et révoltante...  Douze heures plus tard, au moment où je poste ceci, et sans doute grâce au bons soins de Laina, mes douleurs ont presque disparu. Merci à elle, au destin, à la terre, au ciel, à ce dieu qui n’existe pas, au diable, tous innocents du crime que je voulais bêtement leur faire endosser…

vendredi 22 mai 2015

Papeete, Atuona, 20 mai 2015.

Le « Triple seven » d’Air France est en finale. Il est 5 heures 40 lorsque le lourd liner touche le sol de Tahiti, après 8 heures de vol depuis Los Angeles. Vingt-six heures plus tôt, je décolle de Genève et, après une première escale à Paris, j’atteins la Polynésie française assez fatigué. Je n’ai pas dormi durant le premier leg, très peu lors du second. La faute à aux sièges de l’avion (et à ma carrure pas vraiment faite pour s'encastrer là-dedans), qui offrent à peine plus d’espace que ceux d’une compagnie low cost juste destinée à transbahuter du bétail à moindre frais partout dans le monde. Mais mon voyage n’est pas terminé. Je repars dans la foulée pour Nuku Hiva et Hiva Oa, première étape de mon séjour dans les îles. Le Boeing 777 d’Air France ayant une demi-heure de retard, j’ai juste le temps de récupérer mon bagage et de le ré-enregistrer (prioritairement – merci à l’équipe au sol de Tahiti Tours) sur l’ATR 72 d’Air Tahiti. Mais, avant cela, il y eut l’arrivée à Papeete, le débarquement et un accueil qui m’a foutu les larmes aux yeux, tant le souvenir que j’ai gardé de ce pays, visité 33 ans plus tôt, s’est révélé intense à ce moment-là. Jugez par vous même… 



Six heures plus tard, je prends possession de mon faré, à la pension Kanahau d’Atuona, chef-lieu de l’île d’Hiva Oa. Tania en est l’âme, la patronne, la cuisinière, et son contact est d’emblée jovial et amical. Dans cette région, le tutoiement est courant pour ne pas dire traditionnel. Il y a, de ce fait, une approche et une prise de contact naturelles et spontanées qui me ravissent totalement. Ce quart de journée de voyage supplémentaire m’a complètement anéanti. J’ouvre ma valise, en sort et range le principal dans les placards,  prends une douche et vais me coucher. Il est midi et demi, heure locale (-11h30 par rapport à la Suisse). Je dors profondément pendant un peu plus de trois heures. Je décide de consacrer les deux tours d’horloge qu’il me reste avant la nuit à cette visite que j’attends avec  une impatience rarement égalée. Me souvenant assez bien de la configuration d’Atuona, je pars sans plan à la recherche du son cimetière. La pension est située en dehors du village et il me faut trois quarts d’heure pour le rejoindre.  

La voilà cette sépulture pour laquelle,
33 ans plus tôt, j'avais traversé la 
moitié du globe. L'émotion de la 
retrouver a été toute
aussi intense cette année... 
Ainsi, retrouver, revoir la sépulture de l’homme que j’admire le plus au monde, constitue une émotion plus forte encore que ce que je présageais. Trente trois après, le petit palmier qui abritait son ancrage s’est multiplié par dix et la hauteurs des arbres par quatre ou cinq. Mais la tombe est toujours la même, bien entretenue dans le coin gauche, tout au bas du cimetière. Son venus s’y ajouter, une multitude de galets sur lesquels des inconnus fans de l’interprète, auteur, compositeur, acteur, metteur en scène, pilote et navigateur, y déclament leur admiration et lui disent merci pour ce qu’il leur a apporté au long de sa trop courte vie. Devant ce morceau de terre, duquel je ne parviens plus à détourner le regard, je mesure alors l’immensité du temps qui me sépare de ma première visite, en avril et mai 1982. En quittant Atuona, le 7 mai de cette année-là, je lui avais fait une dernière visite et, très ému, lui avais promis de faire tout mon possible pour revenir le voir un jour. Et je suis là, de retour, en face de lui. Alors, cette promesse tenue, autant que les 33 années écoulées, me revient avec une telle violence, une telle intensité que, irrépressiblement, je craque et me liquéfie. Heureusement, je suis seul dans cette partie du cimetière car il me faudra quelques minutes pour me remettre de cette chose que jamais je n’aurais pu imaginer…


La pension dans laquelle je suis 
descendu. Elle domine la baie de
Tahauku. C'est à cet endroit que,

 le 19 novembre 1975, Jacques Brel 
et sa compagne Maddly 
débarquaient de leur voilier "Askoy II" 
pour s'installer dans le village d'Atuona.
Leur bonheur et leur amour pour 
cette île n'aura duré que trois ans...
Le retour à la pension Kanahau est laborieux, tentant d’y revenir par le chemin du bas du village. La nuit commence à tomber et je me perds totalement dans les diverses petites routes montant à flanc de colline pour la rejoindre. Avec l’aide de plusieurs villageois, je la retrouve enfin. Il fait nuit noire, je suis exténué, trempé autant par la transpiration (les routes d’Atuona sont, en majorité, une succession de fortes montées et descentes)  que par l’averse que je me suis prise et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fut violente,  et j’arrive enfin à la pension. Nouvelle et indispensable douche et petit repos avant de goûter à la divine cuisine de Tania, dégustée en communauté avec elle et les sept autres résidents de la pension. Au menu : carpaccio de thon rouge, thon grillé, sauce et légumes au curry vert, riz, tarte à la goyave. Tout simplement divin et  à l’image  présagée des six jours qu’il me reste à passer dans ce petit paradis…

lundi 18 mai 2015

J-1

Je suis paré. Dans les starting blocks et prêt à en découdre avec ce périple que j'ai encore de la peine à croire imminent. Il y a deux mois, je n'envisageais absolument pas de partir là-bas si tôt. Il n'y a que cinq semaines que j'ai effectué les première démarches allant dans ce sens. L'agence de voyage parisienne Marco Vasco m'a concocté un programme sur le papier idéal. Je pars en confiance car la boîte me semble sérieuse. A voir sur place, bien sûr, même si je ne crains aucune mauvaise surprise. Ne reste plus qu'à prier pour que le Wifi n'en soit pas une, afin que ce blog puisse être mis à jour aussi souvent que possible...

Prochain post, depuis Atuona (Hiva Oa). Enfin, j'espère...
So long, Folks !

samedi 16 mai 2015

Jour J-3...


La tension monte. En même temps, elle se concentre sur la première partie de ce voyage, les vols transocéaniques : départ de Genève à 14h50, arrivée 33 heures plus tard à Atuona, chef-lieu de l'île marquisienne de Hiva Oa, le tout avec Air France (Genève-Paris-Los Angeles-Papeete) et Air Tahiti (Papeete-Nuku Hiva-Hiva Oa) et plus de 25 heures de vol. Bouger aussi souvent que possible dans l'avion est primordial, dormir aussi (20 heures de vol entre Paris et Papeete), mais le jet lag dans ce sens (-12 heures pour Tahiti, -11h30 pour Hiva Oa) n'est pas vraiment un problème; enfin, ça n'en était pas un il y a 33 ans... 

Pour le reste, je suis serein et convaincu que ces retrouvailles avec la Polynésie ne me décevront pas. Pour m'en convaincre, il n'est besoin que de relire les lignes qui suivent et qui résumaient alors mon arrivée à Papeete, le 23 avril 1982...

… Il fait encore nuit lorsque le DC-10 blanc-bleu-vert d’UTA entame sa descente vers Faaa. Après vingt-huit heures de voyage, dont vingt de vol, je prends contact avec le sol de la Polynésie française. Je pose un pied sur la plus grande des Iles du Vent. Un rêve est en train de prendre forme. Il est six heures du matin, il fait déjà chaud et l'humidité est bien présente. Je suis heureux de débarquer mais exténué pour n'avoir somnolé que deux ou trois heures pour tout le voyage. J'ai envie de dormir dans un lit, de rêver de ce paradis qui m'accueille à bras ouverts. La voiture de location m'attend, je m'assois à son volant afin de rejoindre l’hôtel Tahiti, situé à mi-chemin entre l’aéroport et Papeete. Mais à cette heure-là, la chambre n'est pas prête et l'on me demande de revenir à dix heures. Plus de trois heures à patienter. Je tombe de sommeil et, sur le parking de l’hôtel, je m'enferme dans la Peugeot 504 et m'endors profondément… 

Soixante minutes plus tard, je me réveille en sursaut : le soleil frappe avec insistance sur la vitre de ma voiture et sur mon visage. Je suis en nage. Je m'extirpe de l'auto et fais quelques pas. Le temps est magnifique et je décide de partir à la recherche d'un point de vue me permettant d'admirer l'île et l'océan. Au volant de la voiture, j'escalade une petite route montant à flanc de colline. Après quelques minutes, je me gare sur un petit promontoire dominant, à gauche l'aéroport de Faaa, à droite la ville de Papeete et, droit devant, l'île de Moorea. Le panorama est époustouflant! Tout alentour, des bougainvillées rouges (mes fleurs préférées) forment des bouquets immenses, touffus et flamboyants. Le Pacifique, d'un bleu intense, est à peine fripé par la caresse diurne et permanente des alizés; Moorea m'apparaît dans toute la splendeur de son relief, découpé comme fine dentelle et ancré aux confins d'un ciel absorbé par l'élément liquide. D'une sauvage beauté, inoubliables, Tahiti et Moorea sont les premières images d'un rêve enfin concrétisé...  

L'émotion est telle que mes yeux se voilent et que Moorea devient floue devant moi. Le paradis est ici! J'en suis alors certain et, dans mon cœur éclaté, je sens monter l'onde d'une chaleur bienfaisante qui finit par inonder mon corps tout entier… 


30 avril 1982. Escale à Nuku 
Hiva, en route pour Hiva Oa.
Fokker F-27 d'Air Polynésie
Une heure plus tard, en finale,
piste 20, à Hiva Oa.
Britten Norman BN2 Islander

jeudi 14 mai 2015

Partir, c'est revivre un peu...

Dans cinq jours, je m'envolerai pour la Polynésie française. Trente-trois ans après mon premier voyage dans ces îles enchanteresses, l'augure d'y retourner me fend de deux sentiments: relative angoisse et immense joie. L'angoisse que ce petit paradis ait évolué au point que je ne le reconnaisse plus. En 1982, la vie s'écoulait là-bas dans la douceur et l'insouciance typiques des "eighties". Je crains que l'agitation et le stress ne soient, comme dans les nations qui m'abritent et m'entourent, parvenues jusqu'à Tahiti et ses archipels voisins. Raison pour laquelle j'ai expressément choisi tous mes hébergements (23 nuits sur place) dans des pensions traditionnelles et familiales. Les grands complexes de luxe, bourrés de touristes (en majorité américains) bruyants, tous agglutinés autour des buffets à volonté constituant les repas, merci, très peu pour moi...


Immense joie, parce que le souvenir des paysages, des parfums, des marchés grouillant de vie et de l’odeur envoûtante du monoï, le soir sur le port de Papeete, de la gentillesse des autochtones, des petits spectacles de musique et danse tahitiennes (que j'adore), sont toujours présents et demeurent très vifs dans ma mémoire. J'imagine déjà mon arrivée à Tahiti, au petit matin (tout comme en 82), plongeant dans cette onde tiède et bienfaisante qui s'empare de tout votre corps avec, en face de l'aéroport de Papeete-Faaa, les contours nets et précis de la divine Moorea se découpant dans l'horizon baigné des premières lueurs du jour. Ce moment-là, je le sais, constituera une intense émotion et, même s'il ne pleut pas, pas sûr que mes joues demeurent entièrement sèches au moment de fouler le sol de cette terre, un tiers de siècle plus tard...


Et puis, il y aura les Marquises, immédiatement, dans la foulée. Le retour sur l'île d'Hiva Oa, les retrouvailles avec Atuona et son cimetière, situé sur les hauteurs du village, avec Gauguin et, surtout, Brel qui s'y reposent, le "Grand Jacques" pour qui j'avais décidé de me rendre alors en Polynésie pour la première fois. Au pied de sa tombe, que je venais fleurir de bougainvillées tous les matins des sept jours passés là-bas, l'émotion sera immense et sans doute aussi intense que le 30 avril 1982, lorsque je découvrais la sépulture de l'homme pour lequel j'éprouvais (ça n'a pas changé) la plus grande admiration. A Hiva Oa, je demeurerai également une semaine. Sur ces terres d'une sauvage beauté, je sais déjà que je trouverai l'endroit idéal et propice à ma réflexion, dix mois après avoir basculé dans la dernière étape de ma vie, celle de la retraite. Avant d'atteindre cette dernière, j'avais sérieusement envisagé de venir m'installer ici. Mais ma forme physique et mes gros problèmes de dos, l'absence de bonnes infrastructures médicales sur place, m'ont dissuadé de le faire. Mais, y étant revenu, je me prends parfois à rêver de remettre cette décision en cause...

Au programme donc, Hiva Oa (7 jours), puis Moorea (4), Raiatea et Tahaa, situées dans le même lagon (4), Bora Bora (5) et, pour finir, Tahiti (3). Le retour à Bora Bora, la plus belle île et le plus beau lagon du monde, promet d'être également très émouvant. Je sais déjà qu'un jour sur place, faisant fi de probables douleurs au genou, engendrées par ce dos qui me pourrit la vie depuis deux ans, je gravirai la pente ardue de la colline faisant face à la seule passe dans le récif donnant accès au lagon. Et je sais que là-haut, dans le petit "bunker" situé juste derrière les deux gros canons érigés durant la guerre afin de défendre l'entrée du lagon, je me mettrai à la recherche, sur les murs, de cette paire d'initiales gravée dans l'un d'entre eux. Y retrouver les "CB/GA" constituerait une émotion de plus, persuadé que je suis encore d'être allé cacher ma peine à l'autre bout du monde, jadis, par simple et gros dépit amoureux. Car oui, l'hommage que je désirais rendre à Jacques Brel n'était que la seconde raison de mon premier voyage en Polynésie...

A cinq jours du départ, j’écris tout cela la tête remplie de souvenirs. Mais les espoirs qu’ils génèrent ne seront-ils pas déçus ? Beaucoup de choses auront changé, c’est certain. Malgré cela, je sais que des détails matériels peut-être radicalement différents, jamais ne pourront m’empêcher de retrouver les endroits qui furent la source de tant de belles images. Et si les îles ne ressemblent plus vraiment à celles que j’ai connues autrefois, je sais que je trouverai en elles d’autres beautés, d’autres trésors, tant dans ce domaine la panoplie qu’elles affichent est vaste et multiple. On ne peut pas revenir de ce petit paradis terrestre la mort dans l’âme pour ne pas y avoir trouvé son compte…



A condition que le Wifi soit performant dans les îles (ce qui n'est pas garanti partout), à partir du 19 mai ce blog va conter et illustrer au mieux ce périple. Un retour aux sources que je suis heureux et vraiment très impatient d'entamer…